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LETTRE À BORIS VIAN ET À JACQUES CANETTI

Lettre extraite du livre de Serge Reggiani "Dernier courrier avant la nuit"
À Boris Vian et à Jacques Canetti
 
 
En plus de trente ans de carrière, j'ai eu la chance de chanter des auteurs de grande qualité, Dabadie, Moustaki, Gainsbourg et autres Claude Lemesle. Mais j'ai pour toi une pensée particulière, car mes premiers pas dans cet exigeant métier, je les ai faits sous tes auspices.
 
 
Tout a commencé avec Jacques Canetti. Un soir, nous étions tous les deux invités chez Simone Signoret. Il était venu lui présenter la pochette d'un enregistrement de textes de Jean Cocteau qu'elle venait de réaliser. Impromptu, il me lança : " Et pourquoi ne chanteriez-vous pas? " J'étais surpris, et vaguement flatté. " Pourquoi pas ? " lui répondis-je. Canetti me demanda mon numéro de téléphone, que je lui donnai sans y prêter plus attention. Mais il me rappela! Dès le lendemain, j'étais en sa compagnie à Pleyel pour choisir des chansons. Et ces chansons, cher Boris Vian, étaient les tiennes…
 
 
Je ne me faisais guère d'illusions, me doutant bien que le métier de chanteur était aussi difficile que celui de comédien, mais Canetti, après tout, était " l'homme qui faisait chanter les acteurs ". Mon premier disque vit rapidement le jour. Il était composé uniquement de titres de Boris Vian, pour la plupart inédits. La chanson phare de l'album était Arthur, où t'as mis le corps?, l'une des plus drôles de ma carrière, pour laquelle je prenais une voix chevrotante et vaguement comique.
 
 
Il m'a fallu enchaîner rapidement avec l'apparition sur scène, prévue le 30 janvier 1965 au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis. J'étais mort de trac, comme maintenant, à tel point que je faillis m'enfuir et laisser la pauvre Catherine Sauvage me remplacer au pied levé. Mais je tins bon et, malgré la modestie de ma prestation, j'eus envie de persister dans la chanson : ma deuxième vie artistique commençait. Grâce à toi, je démarrais une nouvelle carrière sur les chapeaux de roue.
 
 
Comment oublier une chanson aussi forte que le Déserteur, que j'ai repris à ta suite, au lendemain de mai 1968.
 
 
   Monsieur le président, je vous fais u-ne lettre
   que vous lirez peut être, si vous avez le temps
   Je viens de recevoir, mes papiers militaires
   pour partir à la guerre avant mercredi soir
 
 
J'aurais donné beaucoup pour que tu puisses m'entendre chanter tes textes, me conseiller, et, peut-être, qui sait, m'écrire des chansons " sur mesure ". En t'écrivant ces mots, je pense à cette drôle de définition de l'existence que tu as donnés dans une chanson que j'ai enregistrée, La vie c'est comme un dent :
 
 
   La vie c'est comme une dent […].
   Et puis ça se gâte soudain,
   Ça vous fait mal
   Et on y tient […].
   Et pour qu'on soit vraiment guéri
   Il faut vous l'arracher,
   A vie.
 
 
Pourtant, je sais que cette vie semblable à une dent, ce fut la tienne.
Trente ans que je chante et que je rêve de te voir un soir assis au milieu des spectateurs, à rire de tes propres textes.
 
À très bientôt.
 
Serge

Contribution

Bernard Lebeau, version 1.0

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Version : 1.0
Dernière modification : 2022-10-03
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