À la vie, à la mort
Voilà soixante-dix-huit ans bientôt que je te connais, drôle de vie, et il me semble que je dois encore te découvrir. Je ne t'ai pas encore rencontrée, chienne de mort, mais il me semble que je te sais par cœur…
Oui, drôle de vie, je t'aime. Oui, chienne de mort, j'ai peur de toi. Je ne supporte pas d'attendre avant de m'endormir. Je préfère travailler jusqu'à l'épuisement ou prendre des cachets. Je ne crois pas en toi, la mort, et pourtant je te crains. Je doute qu'il y ait un " au-delà " déguisé en paradis ou en enfer. Je crois en fait à la survie, à la manière des bouddhistes qui pensent que chacun de nous dispose de sept vies, mais que nous vivons sans aucun souvenir des précédentes. J'aimerais que ma dernière vie soit une vie de peinture et de musique. Un peu comme celle que j'achève ces temps-ci… Ma vie de Serge Reggiani serait-elle la dernière? Je serai fixé assez tôt.
Je ne crois pas non plus en Dieu : il est une abstraction. Toute étoile peut revendiquer le nom de Dieu.
Braque est mort à quatre-vingt-un an, Picasso à quatre-vingt-douze, Chagall à quatre-vingt-dix-huit. La peinture conserverait-elle?
Si la mort soudain surgissait et me montrait son sablier en m'indiquant qu'il me reste une heure à vivre, je sais comment je l'emploierais. Je demanderais à Noëlle de se tenir à mes côtés et je peindrais une ultime toile…
Mort, je ne crois pas en toi. Je ne te prendrais pas au sérieux quand tu viendras me tirer par les pieds en me disant : " C'est l'heure. " Vie, il faudra m'arracher à toi avec des tenailles rougie, comme dans les mauvais romans.
