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LE TESTAMENT

(Le testament, 1489)
Paroles :François Villon
En l'an trentieme de mon âge
Que toutes mes hontes j'eus bues,
Ne du tout fol, ne du tout sage,
Non obstant maintes peines eues,
Lesquelles j'ai toutes reçues
Sous la main Thibaut d'Aussigny...
S'evêque il est, seignant les rues,
Qu'il soit le mien je le regny !
 
 
Mon seigneur n'est ne mon evêque ;
Sous lui ne tiens, s'il n'est en friche ;
Foi ne lui dois n'hommage avecque ;
Je ne suis son serf ne sa biche.
Pû m'a d'une petite miche
Et de froide eau tout un été.
Large ou étroit, mout me fut chiche:
Tel lui soit Dieu qu'il m'a été.
 
 
Et s'aucun me vouloit reprendre
Et dire que je le maudis,
Non fais, se bien le sait comprendre,
En rien de lui je ne médis.
Veci tout le mal que j'en dis :
S'il m'a été misericors,
Jesus, le roi de paradis,
Tel lui soit a l'ame et au corps !
 
 
Et s'été m'a dur et cruel
Trop plus que ci ne le raconte,
Je veuil que le Dieu eternel
Lui soit donc semblable a ce compte.
Et l'Eglise nous dit et conte
Que prions pour nos ennemis.
Je vous dirai : " J'ai tort et honte,
Quoi qu'il m'ait fait, a Dieu remis ! "
 
 
[…]
 
Je plains le temps de ma jeunesse,
Auquel j'ai plus qu'autre gallé
Jusqu'à l'entrée de vieillesse,
Qui son partement m'a celé.
Il ne s'en est à pied allé,
N'à cheval ; hélas ! comment donc ?
Soudainement s'en est volé,
Et ne m'a laissé quelque don.
 
 
Allé s'en est, et je demeure
Pauvre de sens et de savoir,
Triste, failli, plus noir que meure,
Qui n'ai ni cens, rente, n'avoir ;
Des miens le moindre, je dis voir,
De me désavouer s'avance,
Oubliant naturel devoir,
Par faute d'un peu de chevance.
 
 
Si ne crains avoir dépendu
Par friander ni par lécher ;
Par trop aimer n'ai rien vendu
Qu'amis me puissent reprocher,
Au moins qui leur coûte moult cher.
Je le dis et ne crois médire ;
De ce me puis-je revencher :
Qui n'a méfait ne le doit dire.
 
 
Bien est verté que j'ai aimé
Et aimeraie volontiers ;
Mais triste coeur, ventre affamé
Qui n'est rassasié au tiers
M'ôte des amoureux sentiers.
Au fort, quelqu'un s'en récompense
Qui est rempli sur les chantiers !
Car la danse vient de la panse.
 
 
Hé ! Dieu, si j'eusse étudié
Au temps de ma jeunesse folle
Et à bonnes meurs dédié,
J'eusse maison et couche molle !
Mais quoi ? Je fuyaie l'école,
Comme fait le mauvais enfant.
En écrivant cette parole,
À peu que le coeur ne me fend.
 
 
Le dit du sage trop lui fis
Favorable (bien en puis mais !)
Qui dit : " Éjouis-toi, mon fils,
En ton adolescence " ; mais
Ailleurs sert bien d'un autre mes,
Car " Jeunesse et adolescence "
C'est son parler, ni moins ni mais,
"Ne sont qu'abus et ignorance."
 
 
Mes jours s'en sont allés errant
Comme, dit Job, d'une touaille
Font les filets, quand tisserand
En son poing tient ardente paille :
Lors s'il y a nul bout qui saille,
Soudainement il le ravit.
Si ne crains plus que rien m'assaille,
Car à la mort tout s'assouvit.
 
 
Où sont les gracieux galants
Que je suivais au temps jadis,
Si bien chantants, si bien parlants,
Si plaisants en faits et en dits ?
Les aucuns sont morts et raidis,
D'eux n'est-il plus rien maintenant :
Repos aient en Paradis,
Et Dieu sauve le remenant !

Contribution

Bernard Lebeau, version 1.0

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Version : 1.0
Dernière modification : 2022-10-24
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