/
Depuis le temps que j'é tais à ma p lace
Que je trônais dans la salle à mang er
J'ai vu passer un siè cle comme passe nt
Dix mil le années, quand on est un roc her
Bien sûr, cent fois on a changé les chai ses
Mais on ne peut parler de compagn ie
Avec d es gens dont l'hu mour est punai se
Et rempaillage l' unique so uci
Quant aux humains, pardon nez-moi, c'est pire
Ce que j'ai vu c'est à vous dégoûter
Et j'en conn ais qui do nn'raient un emp ire
Pour m'e mpêcher aujourd' hui de par ler
A m es débuts, je su is sortie pimp ante
Fraîche et menue des ma ins du menui sier
Pour atterrir chez ton arrière-grand-t ante
Trois ième étage f ace à l'escal ier
Bien qu' elle n'eût al ors que vingt ans d 'âge
C'é tait déjà ce qu'on t'a raco nté
Vieille, maniaque, obs édée du mén age
J'en ai les reins enc ore tout esquin tés
Si j'ai souffert d'u ne façon certaine
Sous le cirage et la paille de fer
Un seul dî ner, une f ois par semai ne
C'est e mmerdant mais ce n' est pas l'e nfer
Quand elle est morte, pour son hérit age
Sur mon plateau frap paient les hériti ers
Puis t on grand-père, à la fin du carn age
Prit la maison et la salle à man ger
Si t u savais combi en il est péni ble
D'êt re la table d'un jeune mar ié
D'être pudique et néanm oins la ci ble
Des érotismes de l'après-dî ner
Et j'ai connu toutes sortes d'outrages
Taches de vin et t aches de café
Taches e nfin que t ous les bons usag es
Même au jourd'hui m'empê chent de no mmer
Ton père et ses composi tions frança ises
Qu 'il écrivait à to rt et à trav ers
Insan ités, malad resses, fadaise s
Que j 'ai encore, impri mées à l'env ers
Et les Noëls, les repas de fam ille
La p olitique et les pleurs des enf ants
Et le papa faisant du p ied aux fi lles
La t riste vie nag eant dans le vin bl anc
Et les matins des lendemains de f ête
Sous le pain dur et le ve rre brisé
Et les longs so irs, et l es nuits de défai tes
Sous l es alcools, et les f ronts appuy és
Je s uis moulue, verm oulue, je suis viei lle
Je les entends jusqu'a près leur trép as
Certa ines nuits, je s ens bien qu'ils essa yent
De me parler, ma is je ne bouge p as
Et quand ma vie fi nira dans les fla mmes
Dis au poète qui voulait savo ir
Si les objets étaient d oués d'une âme
Que j'aurais pr éféré n'en pas avoir
Si les objets étaient do ués d'une â me
Que j'aurais préf éré n'en pas a voir !