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LETTRE À LETIZIA MA MÈRE

Lettre extraite du livre de Serge Reggiani « Dernier courrier avant la nuit »
Paroles :Serge Reggiani
Carissima bella
 
Je possède de nombreuses photographie de toi et de Ferrucio, mon père. Bella carissima, lorsque tu as eu quinze ans, à l'âge où les petite filles flirtent au lycée, tu as eu le courage de t'installer, seule, dans un petit salon de coiffure pour hommes, alors que tu n'avais jamais touché une tondeuse de ta vie. C'est là que Ferrucio un jour, t'a vue à l'œuvre, ciseaux en main, petit monstre de coiffeuse pour hommes. Et sa curiosité fit place à l'amour. Tu lui as bien vite passé la bague au doigt. Ce devait être en 1921, puisque je suis né en 1922…
 
 
   Il est beau et tu es belle
   Tous les deux un peu rebelles
   En mille neuf cent vingt et un
   Qui sait ce qu'il advint
   De vos amours nouvel_ -les
   Tu caresses la soie douce
   Et ce sont des draps qui poussent
   Entre vos dix doigts mêlés
   Des nuits échevelées
   D'où va jaillir ma source
 
 
Comme beaucoup d'Émiliennes, tu chantais superbement, d'une voix douce et chaude. Gràce à toi, j'ai appris tout petit l'essentiel des grands airs d'opéra. Tu les fredonnais indéfiniment en faisant la cuisine ou le ménage. Tu as formé, par ce concert permanent, mon oreille d'enfant. Sans cela, je n'aurais peut-être pas réussi ma carrière de chanteur. Les italiens ont la musique dans le sang, disait-on en découvrant que j'étais doué pour la chanson. Dans le sang, oui, mais surtout dans la tête, grâce à Puccini, Verdi et autres compositeurs du récital infini et unique de Letizia Reggiani, née Spagni. L'une de mes chansons, le Barbier de Belleville, peint le salon de coiffure et la cuisine où tu chantais :
 
 
   Je suis le roi du ciseau,
   De la barbiche en biseau,
   Je suis le barbier de Bell'ville!
   Des petits poils_ jusqu'aux cheveux,
   Je fais vraiment_ ce que je veux.
   J'ai toujours été hanté
   Par le désir de chanter
   Manon, Carmen ou Corneville.
   Alors, avoués que c'est râlant
   D'avoir la vocation sans le talent.
 
   Je n'ai pas de voix,
   J'essaye quelques fois,
   Mais ça ne vient pas …
   Je n'suis pas doué_ pour l'opéra.
 
 
Je veux, carissima bellissima, terminer cette lettre sur le plus doux souvenirs de mon enfance : ces moments où tu m'offrais un verre de rafraîchissante acqua d'orzo, l'eau de réglisse. Je la sens encore couler dans ma gorge et apaiser ma soif après une journée de chalut dans la poussière de l'été émilien.
 
Maman, j'aimerais tant te voir sortir de la cuisine, les mains pleines de farine que tu essuierais sur ton tablier pour venir jeter un coup d'œil sur les lignes que j'écris. Mais il est trop tard, et l'acqua d'orzo n'est plus qu'un souvenir. C'est l'eau de mon enfance que j'ai bue trop vite, goulûment, pour étancher une soif de vivre qui jamais ne s'est calmée. C'est l'eau de mon enfance que j'ai bue trop vite. Trop vite. Ton fils Sergio

Contribution

Bernard Lebeau, version 1.0

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Version : 1.0
Dernière modification : 2022-10-23
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