À Édith Piaf
Je t'ai trop peu connue, chère Edith, et pourtant je te tutoie, puisque tu tutoyais tout le monde. La gloire avait mis des ailes d'ange à ton corps toujours lissé de noir, mais jamais tu ne t'es envolée loin de tes amis, jamais tu ne les as regardés en " star ".
Je t'ai connue l'espace d'un mauvais film, Étoile sans lumière, de Marcel Blistène. Tu incarnais la chanteuse Mila Parely, et je jouais l'ingénieur du son. Tu étais admirable de naturel, et nimbée d'une ingénuité charmante. Quel dommage que tu n'aies pas illuminé plus souvent les écrans de cinéma de cette mystérieuse aura qui te caractérisait.
Tu es devenue une légende, qui chahute un peu la vérité et l'artiste que tu fus vraiment, mais nul ne peut rien à cela : comment expliquer que tu étais d'abord une femme? Tu fais partie du patrimoine, tu es un monument. Cela m'attriste parfois, quand je chante :
Édith, les enfants n'ont de toi
Qu'une image tenue parfois
De myopes intermédiaires.
Et ils ne sauront jamais plus
Ce que c'est que d'avoir perdu
Sa lumière dans ta lumière …
Tes chansons, chère Edith, n'étaient pas des chansons " à texte ", comme on dit. Mais tu n'ignorais pas qu'un mot, un thème, une simple histoire donnent parfois une grande œuvre populaire. On dit que, grâce à ta voix et à ton sens de la scène, tu aurais pu faire vibrer un auditoire en interprétant l'annuaire du téléphone.
Chère Edith, où es-tu aujourd'hui? Je sais que tu es là, quelque part. S'il y a un paradis, tu y donnes sûrement des récitals, et Dieu est aux premières loges. J'ignore si tu lui chantes Non, je ne regrette rien, Mon Légionnaire ou l'Homme à la moto, mais je sais que, moi aussi, j'aimerais bien un jour être au parterre, dans ce public de bienheureux…
Avec ma tendre affection,
Serge
