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On le dit magicien lorsque l'on vient au monde
Il m'a pris par la main, je n'avais qu'une seconde
Je pleu rais comme un fou, surpris d'être en vie
Lui, déjà le loup, et moi, la brebis
Je l'i gnorais toujours faisant mes premiers pas
Lui faisait son tour, apprenant tout de moi
Il é tait infini, et moi j'avais quatre ans
Comment croire qu'aujourd'hui c'est déjà le moment?
Bien sûr, il était là au premier jour d'école
Accro ché à mon bras comme une étrange boussole
Je connai ssais ses quarts, sa forme, ses demies
Mais sans sa voir l'écart qui fond quand on grandit
Du haut de mes 10 ans j'étais le roi du quartier
Et lui, évanescent, jouait à s'étirer
Je rê vais d'être grand, qu'il défile en vitesse
Lui, truq uait le présent en riant dans sa veste
Ce fut le seul témoin de mon premier amour
La cou sine d'un copain qui venait d'Édimbourg
Je l'ai senti s'arrêter quand j'ai posé ma main
Sur son sein débordant de lingerie de satin
Soudain, j'avais 20 ans j'étais l'homme invincible
Je fai sais face au vent, lui me prenait pour cible
J'ai ri sous son nez, je l'ai pointé du doigt
Il ri rait le dernier en fuyant sous mes pas
Il me prit de vitesse, me présentant ma femme
Comme une partie d'échecs dont il manie la trame
Soudaine ment j'ai 30 ans, j'ai rien vu aller
Je sais seule ment que le présent est très vite passé
Il pleu ra avec moi ma fille venant au monde
Il deve nait mon roi, je vénérais ses secondes
Mon vieux prof de philo dit qu'il n'existe pas
Que c'est l'œuvre des idiots pour mieux compter leurs pas
Rendu à 40 ans j'y pense un peu plus
Lui, sub til comme le vent, intangible comme Vénus
Tous ces grains qui s'enfuient au bout de l'entonnoir
Est-ce un monstre? Un ami? À quoi bon le savoir?
Ensemble, on a trinqué à mes anniversaires
Puis j'ai tei nt mes cheveux pour tenter d'le faire taire
Je me suis mis à la course pour ralentir la sienne
Comme du sang dans ma bouche, de la pluie dans la plaine
Il s'est mis à filer et les années à fondre
J'ai vou lu l'oublier pour profiter du nombre
J'ai dé jà 50 ans, j'pense à lui tous les jours
Lui, le sale chien savant, continue de faire son tour
Puis je l'ai vu partir en emportant mon père
Et soudain revenir pour emmener ma mère
On a beau raconter que c'est l'ordre des choses
Il nous blesse comme nous blesse le piquant de la rose
Rendu à 60 ans, il fait juste ralentir
Éti rant les moments que je préférerais fuir
Lui qui filait pourtant comme un train grande vitesse
Là s'é coule si lentement qu'on dirait qu'il me teste
Du haut de mes 80, je n'ai rien oublié
Mais entre deux matins, on dirait une année
Je l'ai tant ignoré et lui m'a laissé faire
À quoi bon regretter? Je suis trois fois grand-père
Les an nées sont passées, et en sortant du train
Aujourd' hui il m'emmène où on ne va pas plus loin
Ce soir je lui parle comme à un frère
C'est fou comme il me tarde d'entrer dans la lumière
Alors qu'il me raconte ce que je sais déjà
Qu'il n'y a rien qu'on emporte là où on s'en va
Ses ai guilles ralentissent sur le mur de la chambre
Je sens bien que je glisse dans la lumière qui danse
Alors je ferme les yeux, je respire la nuit
" Il est temps maintenant ", me chuchote mon ami
C'est lui mon assassin depuis le tout début
À la fin, à la fin, c'est le temps qui me tue